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news — By Garrincha

Make Ward

M Ward, je l'avais déjà croisé un soir au Point FMR. Il était seul sur une scène qui soudainement paraissait immense. Elle était plongée dans la pénombre, on n'avait gardé en guise d'éclairage que le strict minimum. Il avait installé son micro de manière incongrue : il ne pouvait chanter qu'en remontant vers l'appareil qui pointait vers le sol et il l'abordait de profil en tournant à moitié le dos au public.


Pendant tout le concert, il alternait entre des moments de retraite, de reddition presque, quand il se reculait dans l'ombre et qu'on ne voyait plus de lui qu'une silhouette indistincte, recroquevillée sur sa guitare. Et puis, quand il fallait chanter, il s'avançait vers la lumière qui paraissait bien pauvre et grise dans toute cette noirceur. Il n'en sortait qu'à contre-cœur, comme effrayé par ces projecteurs faiblards, ces maigres feux de la rampe. Il ne s'approchait du micro que comme on essaie de contourner un cobra venimeux ou un essaim de frelons.

On aurait dit un spectre. Du fond de la scène, il déployait en boucle des arpèges de virtuose, les notes abandonnant la carcasse de sa guitare et les doigts du musicien pour tomber directement vers le sol. Une petite fuite d'eau qui, goutte à goutte, formait un océan. Il y rajoutait des filaments grisâtres et des étincelles de fumée, comme un esprit qui formule des incantations étrangement intelligibles.

Et puis cette voix. On sait de ces disques qu'elle est voilée comme par un ciel couvert, qu'elle râle sous des nuages bas et lourds réunis en conclave que seules quelques bourrasques viennent parfois éparpiller. Ce n'est rien par rapport à la sensation physique qu'elle provoque. Il est de ces voix dont on sent à les entendre, à voir les corps qui les lancent vers nous, qu'elles sont le résultat d'un long chemin intérieur, qu'elles ont une histoire bien plus vieille qu'il n'y paraît.

Ce soir là, M. Ward avait donné au petit peuple rassemblé là une mélopée vacillante, un chant funèbre remontant par quelque souterrain pour attraper un peu de lumière. Une expérience presque spirituelle, un rituel chamanique. Deux ans plus tard, son retour ne se faisait pas sous les mêmes auspices.

Entre temps, il s'est dévergondé avec Zooey Deschanel dans un projet très marqué par la pop américaine des late 50s et des early 60s et son dernier disque, Hold Time
, est plein de ces influences là. Il a surtout appris à jouer avec plus de légèreté, il a pris chez elle des sourires qu'il a mis dans sa besace.

Ca s'est vu tout de suite, sur la scène du Café de la Danse. Entouré de taiseux sans aucun doute choisi au hasard, il s'est même permis de sourire et de lorgner vers le public. Un peu. Au début. Il reste peu bavard, et lorsqu'il chante ses mots ne filent toujours qu'a rebours vers son auditoire. On a toujours l'impression que chaque mot est né dans les profondeurs de son corps une centaine d'années de solitude auparavant, mais tout cela semble quand même nettement moins douloureux, moins pénible. Au fur et à mesure du concert reste cependant la sensation que plus il jouait, plus il s'absorbait dans sa musique. On pourrait y voir un manque de charisme ou de prestance. Ou au contraire, on pourrait penser que M. Ward n'a décidément, quelle que soit la situation, qu'un seul amour. On devinera sans mal dans quel camp je me range.

Il a joué sans son groupe, une parenthèse rappelant le M. Ward du Point FMR, avec en exergue un sublime "I'll Be Yr Bird" qui est finalement plus bien plus qu'une simple promesse. Il a joué avec son groupe (une sacrée - et disparate - bande de virtuoses soit dit en passant, loin des bucherons qui accompagnent un Joseph Arthur par exemple) se lançant parfois dans des numéros qu'un Jerry Lee Lewis n'aurait pas renié et terminant même sur une reprise jouissive de “Roll Over Beethoven”. N'importe qui d'autre tentant ce genre d'exercice s'attirerait inévitablement une bonne quantité de railleries. Pas lui. Une histoire de voix, encore. Ce mélange d'ombre et de lumière, de musique (parfois) joyeuse portant des mots de peine, c'est un peu comme si Billie Holiday avait remplacé Diana Ross au sein des Supreme : une forme de perfection.

- Photos N&B par Robin Dua pour Digg.be
- Photo couleur par Vinka