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In Deference

C'est une histoire vieille comme le monde : celle de la première impression, des apparences trompeuses et de leurs petites soeurs, les intuitions approximatives. Ouvrir le premier album de The Daredevil Christopher Wright, c'est un peu comme rencontrer quelqu'un sur qui on aurait plein d'a prioris. Parce que c'est un auteur que l'on lit, parce que sa tête nous rappelle quelqu'un, parce que ses manières ne sont pas tout à fait les siennes... ou dans le cas présent, parce que son chant n'est pas tout à fait le sien.

Quand "Hospital" s'ouvre, on balance donc entre les inévitables comparaisons que cette musique peut attirer. Des orchestrations de violon qui s'envolent, un peu façon DM Stith, et une manière de pousser sa voix qui fait penser à un Spencer Krug qui irait piocher en voix de tête plus souvent qu'à son tour. Peut-être un peu, s'il faut continuer à jouer le jeu des références, à la Phosphorescent. Le tout a parfois des allures d'Okkervil River, mais cessons là ce petit jeu.

L'essentiel, dans ces cas là, c'est de rester frais, de savoir à quels détails prêter attention, de garder intact sa capacité à être charmé. Malgré le contexte, les références et toutes les informations parasites qui nous polluent la tête. Rester capable de se servir de ces similitudes comme de guides et ne pas leur laisser le premier rôle.

Ce qui aide, c'est que malgré le côté élégiaque et propret des morceaux d'ouverture, on sent d'emblée qu'il y a là quelque chose qui racle, qui geint et qui souffre. C'est d'abord une simple intuition : on sent que cette voix peut aller loin, qu'elle est de celles qui ne sortent pas juste pour conter fleurette mais plutôt poussées par de bons accès de colère. Et puis, le titre de ce disque permet d'emblée une simple mise en contexte : In Deference To A Broken Back
, voilà qui suffit à transmettre des impressions douloureuses et carcérales qui tapent tout près du nerf. On sait tout de suite qu'on va parler de choses gaies : "Acceptable Loss" et "A Near Death Experience At Sea" sont au programme.

Pourtant, vous allez vous prendre à sourire. Si vous aimez danser vos peines, si vous dissipez parfois vos maux en riant de vous-même, s'il vous est donné le précieux don de la dérision. Ce disque est aussi une pépite d'humour noir. Il est produit par Bon Iver, dont le très beau For Emma, Forever Ago
était pourtant très littéral, très direct. On y retrouve cette façon héritée de la soul music de pousser l'expression à fond, cette conviction que le sentiment, ça se maltraite, se tord et se triture. L'intensité est là, indubitablement, mais ce n'est pas seulement ce qui rend ce disque précieux. S'il s'agissait juste de nous faire chialer, Justin Vernon fait ça mieux, en fin de compte.

Non, ce qui rend cet album précieux, c'est la petite flute sautillante qui vient en contrepoint du refrain de "Bury You Alive". C'est la rythmique incroyablement entraînante de "A Conversation About Cancer", qui connait le secret de la pulsation straight from the heart
chère à Bryan Devendorf et Stephen Morris. Cette chanson trébuche sans cesse, avec la grâce je-m'en-foutiste d'un cascadeur du dimanche. Avec une certaine dose de folie enthousiaste et insouciante aussi, qui n'est pas sans rappeler les élucubrations réjouissantes d'un Danielson. Elle passe par soubresauts de l'allant d'une joie solaire à des accélérations rageuses, et si elle a l'air joyeuse, c'est juste parce qu'elle parle de survie. C'est une chanson de survivants hargneux mais joyeux, chez qui l'envie d'en découdre va de pair avec celle de passer la cinquième et d'enquiller les obstacles à fond les manettes. "Came from the hospital embraced like the prodigal son. Disease stripped the flesh from my bones against the original intention
". L'approche des ombres réveille l'envie de foutre le feu. Alors ne vous y méprenez pas : ce n'est pas une plainte mais bien une déclaration de guerre, faite en chantant à tue-tête dans la rue, sous un soleil radieux.

Il y aura ensuite, sur ce disque, des percées électriques dans des ciels qu'on croyait sans nuages, d'innombrables allers-retours entre évidence et second degré. Et ce dévoilement progressif est une énième leçon de séduction : un rappel que les choses les plus passionnantes ne sont jamais celles qui se donnent sans détour avant même le premier virage. Quand viendra ensuite le moment de la sincérité sans fard ("The Daredevil Christopher Wright"), il n'en sera que plus beau.


- A lire : une chronique chez Pinkushion et une apparition dans le best of 2009 de Said The Gramophone
- Le disque se trouve sur le myspace du groupe ou par ici
- la session Daytrotter est par là