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El Vy

L'univers semblait à nouveau à sa place, posé sur une scène, concentré sur quelques mètres carrés, révélant toute l'insouciance dont il est parfois capable. Toute ? Non, pas complètement, à vrai dire.

De longues semaines déjà que je n'avais remis les pieds dans une salle de concert parisienne. Curieuse sensation d'y pénétrer comme on passe la porte d'un avion, en pensant au crash, ne serait-ce qu'une seconde. Curieuse utilisation de la mémoire désormais liée à un vendredi soir de novembre, du côté du boulevard Voltaire. Nouveau paramètre ou angoisse passagère ? On verra ça dans quelques mois. Pour l'instant, les réserves de plaisir font bien le boulot et prennent le relais sur le passé proche et les trottoirs jonchés de fleurs. On est bien. Ensemble. Avec sa meuf, son mec, des bières, des flyers plein les poches annonçant des tonnes de concert à venir, et - puisque la musique est notre monde - des nuits à refaire la musique comme on refait le monde.

El Vy était parfait pour recommencer à faire tout cela. Le projet de Matt Berninger et Brent Knopf arrivait à point nommé. "Return to the moon", oui, c'est une bonne idée. Echappé respectivement de The National et Ramona Falls, le duo a offert un beau vol de nuit à ceux qui avaient besoin d'air frais.

 

Du point de vue de l'ultra du quintette de l'Ohio que je suis (et que nous étions pour la grande majorité) l'avènement d'El Vy matérialisait tous nos fantasmes. Certainement connaissez-vous ce sentiment très désagréable d'avoir épuisé toute la discographie de votre groupe préféré et de vous mettre frénétiquement à chercher un groupe qui lui ressemblerait mais pas trop - mais quand même un peu ? D'avoir été happé par ce site chronophage qu'est Discograph, de cliquer sur tous les membres de la famille pour découvrir un son approchant et en même temps novateur, régénérateur ? El Vy nous l'a apporté sur un plateau.

Toujours à la pointe en ce qui concerne les multiples niveaux de lecture de ses textes, le baryton Berninger apparaît plus détendu qu'il ne l'a jamais été et se dédouble pour devenir une fois de plus le frontman qui fait voguer l'équipage. Fini de faire les cent pas en se grattant la barbe, le torturé prend désormais plaisir à la légèreté. Exit le Chardonnay au goulot, Matt partage ses pintes de vodka glacée en arrosant le public.  "It's so cool to be me..." s'étonne t-il.

Matt distribue des bises, fait des selfies et se découvre un goût pour les mélodies pop ("Return to the Moon") où l'homme s'est "réveillé dans la tête de quelqu'un d'autre", quand sa voix dépasse, elle, les tonalités atteintes de Trouble Will Find Me, le dernier LP de The National ; où les souvenirs d'adolescence douce-amère du Midwest convoquent avec tendresse les Cramps, les Smiths ("Paul is Alive") et le Jockey Cub, la salle de concert - aujourd'hui éteinte - de ses jeunes années.

 

Bien sûr, les nuages bas sont toujours présents sur "Careless" et "It's a Game" (on ne se refait pas), mais c'est avec cette distance apaisée qu'on ne lui connaissait pas, et dont Brent Knopf est l'heureux artisan. Dix ans que l'album mitonne pour son pote, autant dire qu'il nous le sert à point, et que sa présence sur scène, bien que discrète, n'a rien du faire-valoir.

Autre brillante mise en son de l'ex Menomena, cette cover des Fine Young Cannibals ("She Drives me Crazy") qui finit de nous faire décoller. "No Time to Crank the Sun", déchirante de beauté mélancolique et "Need a Friend", pop song aux ongles rongées ferment la marche (trop tôt) et le Trabendo se rallume sur les visages comblés.

En une heure, les réserves de plaisir ont fait un bond de géant. On reprend un verre aux tables du bar extérieur, la nuit de décembre fait le dos rond, on refait le concert en même temps que le monde. Entre les gouttes, nous sommes heureux. La nuit sera calme.

 

Merci à Sebastien Bollet et Nous Productions.