A quelle heure les musiciens se réveillent-ils en Californie ? Je pense que c'est comme partout. Ils se réveillent quand il fait trop jour et qu'ils ont pensé à racheter du café. Ils se réveillent quand trop de mélodies, de bouts de phrases, de débuts de lignes de basse se sont accumulés pendant leur sommeil. Il se trouve qu'en plus de tout ça, Greg Cole a vu le message d'un petit Français qui aime bien son boulot et lui dit que justement, en ce moment, il écrit sur Los Angeles, et que cette musique colle parfaitement aux palmes de Venice Beach, au moelleux coïtal des berlines sur Sunset. Qu'il y croit autant qu'aux histoires de Brett Easton Ellis ou de Larry Clark et que pour cela, il veut le remercier. Greg a répondu aussitôt. Il venait de se lever, de se faire un café - et son groupe de boucler un deuxième album.
On a discuté un peu. Je l'imaginais assis sur les marches d'une maison en bois, avec un minuscule jardin, un skate contre la palissade, le ronronnement d'un highway au loin. On a parlé musique. Comme moi il attendait le prochain Wild Nothing. Jack Tatum l'avait beaucoup inspiré, tout autant que Marble Arch, dont en tant que Français, je me devais d'être fier. On a parlé de Paris, aussi, et de choses un peu moins belles, comme le mois de novembre dernier. Il m'a demandé si je connaissais de bons festivals en France. Je lui en ai cités quelques uns.
Il est bien, ce Ricain, j'ai pensé. Pas du genre à croire que les grands espaces se limitent à son beau pays.
A un moment, il m'a dit "Tiens, je t'envoie ça, dis-moi ce que t'en penses. A ton avis, ça ferait un bon single ?"
Le titre en question s'appelait "Softly". Il était là, mon petit miracle. Qu'un type que je ne connaissais pas la veille m'envoie sans prévenir - allez, cadeau - une chanson que j'allais adorer. Une noix d'huile solaire dreampop posée sur un shoegaze aux verres teintés. Où la basse est grise comme un ciel de Manchester. Où la voix en nuit américaine de Cole, à la fois grave et fragile - très frères Reid - répond à celle, surexposée, d'Olive Kimoto - qui ferait, elle, songer à une Molly Rankin adolescente. Où les mélodies se répondent comme deux plans d'un vieux film de vacances. Où le tout est emballé des saturations brumeuses de Jess Rojas et d'un discret gimmick ritournelle qui rentre dans la tête pour les 20 prochaines années. Où c'est beau comme avant Instagram, beau comme le premier jour d'été en 87, mais aussi comme tous les souvenirs qu'il nous reste à goûter encore.
Unless, l'album, vient juste de sortir. Un véritable carnet de douze tickets pour une Californie entre soleil et smog, palmes frissonnant au vent et chambres de Motel 6. Tour à tour, on s'y sentira comme dans les virages sans fin des échangeurs ("Repulsor" et ses guitares en urgence, "Pressure", giclante, dégoupillée avec l'aide de Frankie Soto de Craft Spells, "Yet", frondeuse et souffreteuse comme après cinq Valiums) ou serein comme après un session de surf ("Haunted", beauté lacrymale et animale).
La pop atmosphérique de The Radio Dept. n'est jamais très loin, tout comme les mélodies fauves et faussement complexes de Wild Nothing. Chez Crescendo, on ne se prend pas la tête. Les titres s'achèvent quand ils ont dit ce qu'ils avaient à dire, c'est carré, innocent, parfois flottant, et si les grattes embrument leur monde, le reste est clair comme aux sommets des collines. C'est peut-être ce que l'on éprouve en écoutant Unless. On s'y sentira comme sur Mulholland, de nuit, regardant la ville au loin ressembler à cent millions de microprocesseurs dont on n'attend pas de réponse. C'est juste que le paysage est beau.
Comme l'hiver sera encore là pour quelques semaines, j'aime à croire que plonger dans cet album sera la plus belle manière de colorier en rose pale les néons de nos quais de gare. Je ne doute pas non plus, qu'avant l'arrivé du printemps, Greg l'angelino saura sans problème placer sur une carte les bons festivals de notre pays. Je l'inviterai à prendre un café. Ce sera le moins que je puisse faire.